La langue gabaye

Nous sommes heureux de vous faire découvrir - ou redécouvrir - la langue Gabaye.

Pour vous apporter la meilleure des informations nous avons la chance d'avoir celui qui est la mémoire de cette langue pratiquée par nos ancêtres en Haute Gironde.

Jean-Luc BUETAS est né à Blaye, géologue et œnologue il connait parfaitement les vignobles et plus particulièrement ceux de notre région.

Il écrit depuis plus de dix ans en langue saintongeaise et nous ne pouvons que vous conseiller la lecture de ses ouvrages en Gabaye ou ayant un lien avec le pays Gabaye :

  • Morsias Chouésis de l'Ajhasse Désencruchée (Les éditions du Net 2017)
  • Les Voéyaghes d'Albertine P'rmière Rabalée (Les éditions du Net 2017)
  • Les Voéyaghes d'Albertine Deusième Rabalée (Les éditions du Net 2018)
  • Initiez-vous à la langue Saintongeaise avec Albertine (Les éditions du Net 2020)
  • La Thieusine d'Albertine (Les éditions du Net 2021)
  • Ernest Rudel et Cie à la santé de César (Les éditions du Net 2021)
  • Néonazis; Pesticides et OGM Ernest Rudel et Cie (Les éditions du Net 2022)
  • On n'est pas des saints Ernest Rudel et Cie, Le Défi (Les éditions du Net 2023)
  • Le Dictionnaire Français Gabaye (les éditions du Net Octobre 2023)
  • un journal, en général trimestriel, l'Ajhasse Désencruchée, participations épisodiques dans d'autres journaux, notamment Le Boutillon des Charentes et Xaintonge.

 

 

Un message important de notre Ministre de la langue Gabaye :

Naissance du projet d'étude du bilinguisme dans le Pays Gabaye

N'oubliez pas de participer à l'enquête :

Cette enquête a une durée de vie limitée. Elle sera close définitivement le 30 juin 2024

Fazez pas les cagouilles sû l'routin!

 

 

Troésième buffée le 31 janvier 2024

Coument qu’o s’écrit?

Le système graphique saintongeais et gabaye courant est le prolongement de la tendance majeure de l'écrit saintongeais depuis ses origines, qui est aussi celui d'autres langues romanes, exception faite du français. Il entérine une dominante phonétique, c'est-à-dire qu'en général on écrit comme on prononce. On accentue dans cette dominante phonétique des sons fondamentaux ou typiques d'une forme locale.

Le système est adapté à une langue à usage majoritairement oral, à fort enracinement local et s'opposant à une demande normative. Il implique le sentiment d'une identité spécifique.

Ces principes généraux étant posés, nous pouvons aller plus dans les détails.

En ce qui concerne l'alphabet, comme toutes les langues d'origines latines (les langues romanes) le saintongeais et le gabaye utilisent  l'alphabet latin. Nous utiliserons donc les mêmes lettres qu'en français.

Les voyelles :

Les consonnes :

Nous ne traiterons que des consonnes utilisées différemment du français.et en saintongeais et gabaye

Comme on l'a vu précédemment, le l placé derrière une consonne est mouillé et devient "yeu". Jonain traduisait ce son par "ll" comme en espagnol. Ce double l a été repris dans la graphie normalisée. Or, si en espagnol il n'y a pas d'ambiguïté, car les consonnes ne sont jamais doublées sauf pour ll traduisant "yeu" et rr traduisant un son r long particulier, en revanche en français ou en saintongeais, le double l existe déjà. Il nous semble que cela crée une confusion, même si l'on peut arguer que ll n'existe jamais derrière une consonne. Justement, dans les langues romanes, il n'existe pas de consonnes doublées derrière une consonne. Dans la plupart des cas, placé en début ou en milieu de mot, le l palatisé peut tout simplement être remplacé par un i, comme le faisait Goulenéze et Odette Comandon, deux célèbres bardes saintongeais: dau bian, in piat, d'la guiace qui devient même d'la yace, fiache (mou). C'est aussi l'avis de Raymond Doussinet auteur de nombreux ouvrages sur le patois saintongeais. Voir à ce propos la bibliographie.

Certains accentuent ce trait en intercalant un y avant le i comme le Grand Simounet' dans son livre Galope Chenaux aux éditions le Croix Vif: ine pyiace (une place), La  Trembyiade (La Tremblade).

En finale, ce son est à peine marqué. L'écrire avec ie ou yie pourrait inciter à une prononciation accentuée de la finale, sans rapport avec la réalité. Tous les patoisants et les auteurs s'accordent pour remplacer le l palatisé en i en finale par une apostrophe: b', c', f'. "A tab' moun onc'!", A table mon oncle.

La graphie normalisée utilise aussi le ll pour traduire le son "gneu", comme pour borgne qui s'écrit alors borglle (Dictionnaire du Patois Saintongeais de Pierre Jonain, ou Lexique Français/Poitevin-Saintongeais édité par la SEFCO). Il nous semble que cela apporte de la confusion inutile et éloigne le lecteur de la réalité phonétique. On peut aller jusqu'à parler de bizarrerie. Nous adoptons, comme la quasi-totalité des auteurs, la notation française gn.

En résumé pour le l palatisé:

- à l'intérieur du mot:  « i » comme dans bianchet', kiaire, kiasse, fiambeau, piante.

- en finale: « ' » comme capab', haïssab'.

Avant d'aborder le th, le tableau ci-dessous résume la prononciation des autres consonnes.

Prononciation des consonnes courantes

Les consonnes c et d, sont identiques en français et en saintongeais. Sauf devant l, b, f et p sont équivalents en français et en saintongeais. Sauf devant e et i,  g est équivalent en français et en saintongeais. Pour les autres consonnes, il n’y a pas de différence entre le français et le saintongeais ou le gabaye.

Autres particularités du saintongeais :

Le th note le son k mouillé intermédiaire en k et t. Dans la plupart des cas il peut traduire le son ch proche de l'allemand. Ainsi, thieu se dira chieu, thau se dira chau comme dans thau drigaille, ce foutoir.  La graphie normalisée prônait le "ç", ce qui là encore éloignait de l'usage populaire sans apporter une traduction fidèle. Certes, le th n'apporte pas une traduction fidèle non plus, mais il est consensuel, d'autant qu'il est presque impossible d'englober en une seule lettre les sons locaux qui vont du "qu", au "t" en passant "ch" ou "tch". On trouve ainsi des prononciations locales différentes: queu drôle, tieu drôle, chieu drôle, cheu drôle…Mais on peut adopter dans la plupart des cas et par convention le th. Autres exemples: la thieusine, la cuisine, le thieur, le cœur, thieur, cuire, Les Durathieur, les Durs à cuire, troupe de théâtre charentaise.

On noter, en Pays Gabaye, que le queu au lieu du theu traduirait l'influence gasconne. Voir à ce propos un texte recueilli par l'Abbé Belloumeau au XIXe siècle sur les "Les Gabayes-Saintongeais ou Gabayes-The et les Gabayes-Gascons ou Gabayes-Que». On peut penser que c’est simplement l’influence de l’ancien français.

Bijhes les Drôlesses et les Drôles.

 

 

Deusième buffée,  le 1 er novembre 2023


Ayeu les drôlesses et les drôles. Olé-b’ la partie seugante. Boune lisure.
Les particularités linguistiques
Le gabaye est-il vraiment un dialecte à part ? Pour paraphraser Pierre Bec, qui s’exprimait sur
le franco-provençal, on est mal à l’aise quand il s’agit de poser clairement le gabaye face aux
deux grandes langues de culture qui l’environnent, à savoir le français et le saintongeais.
Le gabaye appartient, comme disent les savants, au groupe des dialectes français de l’ouest,
comme le saintongeais dont il est un état. Urgell, déjà à son époque, disait ; « Gabache :
langue spéciale au pays et au peuple gabache, diffèrent peu du saintongeais appartenant au
groupe poitevin de la famille des langues d’oïl. À la vérité les différences sont assez minimes,
plutôt spécieuses, et n’était l’usage de la désigner sous ce nom, mieux vaut ne pas y voir un
idiome à part. L’érudit Belloumeau qui le possédait à fond écrivait : « La différence est celle-
ci ; quand pour un seul objet il y a deux mots pour l’exprimer, le premier est gabache, le
deuxième est saintongeais.»
Ce qu’on peut dire, ce n’est que du fait de son isolement relatif du à l’Estuaire d’un côté, la
Gascogne d’un autre, et la forêt de la Double enfin, à l’exception de la zone proche de la
Charente-Maritime, le gabaye a conservé un état plus ancien du saintongeais, des formes
encore actives en gabaye ont disparu du saintongeais.
Sans entrer dans des querelles de linguistes, Freddy Bossy avait noté les différences suivantes
dans le vocabulaire :
 Finale en -a, -ia en saintongeais, osiâ par exemple, en -é et -éou en gabaye : osé,
oséou
 Finale en -ier en saintongeais, poumier, en -i en gabaye, poumi.
 Finale en -eux en saintongeais, ureux, en -ou en gabaye, urou
 Suffixe en –aire en gabaye, inexistant en saintongeais, tambourinaire, celui qui joue
du tambour
 Beaucoup moins vrai de nos jours, jh en saintongeais, j en gabaye. L’uniformisation
est passée par là.
 Qui, si, tu, en saintongeais, Que, se, te en gabaye. Moins vrai aujourd’hui
 Voyelles partiellement nasales, en saintongeais, chemin, moulin, en gabaye,
chemane, moulane.
 Saintongeais, Thieuque, lequeu, thieu, gabaye, quoque, lequau, quau, (quelque, lequel,
quel)
 Saintongeais, Thieu, ithi, thiélés, thieusine (ce, ici, ceux, cuisine), gabaye de l’ouest, que,
iqui, quelés, queusine.
 Passé simple, saintongeais en iyon, trouviyon, gabaye en irion, trouvirion
 Pronom personnel : saintongeais eux, leu, me ; gabaye, iaux, leuzi, meun
 Pronom personnel : saintongeais vous ; gabaye, vous-z’aut’
 Conjugaison de être ; saintongeais vous êtes ; gabaye, vous sez
 Démonstratif : saintongeais, thieu qui, thiéle qui ; gabaye, lou que, la que (celui qui, celle
qui)
 Article contracté, saintongeais, au, dau, en les, gabaye, ou, dou, éz ouey

 Adjectif possessif : saintongeais, leu(r), gabaye, lour
 Construction en gabaye, i l’aime prou à li, il l’aime bien, lui ; inexistant en saintongeais
 Construction de l’attribut : saintongeais, malade, jh’ou seu, gabaye, malade, jh’en seu
 Préposition : saintongeais, à, gabaye, ad
 Locatif : saintongeais, (v)oure, gabaye, onte.
Quelques-unes ne sont pas listées, car elles nous semblent plus discutables.
N’oublions pas ici une différence intéressante entre les parlers des deux gavacheries citées
plus au haut, celle du secteur de Laruscade et de l’est que Belloumeau appelait « Gabaye the »
et celui de l’ouest et du Blayais qu’il appelait « Gabaye que », (Cf. remarques ci-dessus).
Dans le parler gabaye, on peut remarquer une forte accentuation du t final de nombre de mots,
accentuation qu’on note avec une apostrophe : jh’ai frét’, le feut’, ol é jholit’, in sot’.
Le gabaye va user et abuser de l’élision. Si en saintongeais on dit qu’étau que t’as, le gabaye
dira plutôt qu’tau qu’t’as. On entendra aussi jh’ai b’souet, au lieu de jh’ai bein souet, Jai bien
soif, jh’seus b’content, je suis bien content, ol é b’sur, c’est bien sûr. « Je n’en veux point »,
se traduirait par « Jhe n’en veux brigue », le Gabaye dira « ‘n’en veux brig’ ».
D’autres différences marquantes apparaîtront au fil des pages avec le vocabulaire, dans la
prononciation et la conjugaison.
Enfin, un trait notable du gabaye est la façon traînante de dire les choses, comme pour dire
qu’en Pays Gabaye, on est déjà dans le sud. Sans oublier de rouler légèrement les r.


Jhe vous armercions bein coume o faut d’nous seuguer
dusqu’à la fin et jhe vous bounètons bin poliment. Gardez-
vous teurtoutes et teurtous benèses.

 

 

Ayeu les Drôlesses et les Drôles !

Pour ce p’rmier émolé, le français sera dominant. Comme l’a dit un inconnu célèbre dont on a oublié le nom, avant de savoir courir, il faut savoir marcher.

Ainsi, la langue gabaye, d’où vient-elle ?  Est-ce une langue ? Pour simplifier, le saintongeais est un ensemble linguistique du centre-ouest, et en gommant bien des différences locales, une langue, qui se caractérise par un vocabulaire particulier, une prononciation particulière et une grammaire particulière. Le gabaye est une variante du saintongeais, et même parfois dans sa partie ouest du nord-gironde, un idiome conservatoire de ce qu’a pu être le saintongeais dans son passé. Le gabaye est donc un idiome local du nord-gironde qui s’inclut parfaitement dans l’ensemble linguistique du saintongeais. Etau kiair p’r vouz’aut’ ?

Angheons nous in p’tit. Et voyons d’abord le Pays Gabaye.

Définir le Pays Gabaye est moins simple qu’il n’y paraît. Essayons toutefois de le situer géographiquement et linguistiquement. Il faut pour cela s’éloigner un peu, puis, comme le ferait un observateur en altitude, zoomer pour se rapprocher de plus en plus.

L'Hexagone

La France, avant même de s’appeler France, était un territoire occupé par une multitude de peuplades plus diverses les unes que les autres et aux origines extrêmement variées. Jules César, le célèbre empereur romain, ne s’est pas encombré de considérations, pour lui, inutiles, et a baptisé tout ça « les Gaulois ». Ainsi notre pays était devenu La Gaule. La Pax Romana installée, c’est pendant près de quatre cents ans que se développera une civilisation gallo-romaine.

Partant d’un substrat linguistique de base, comme le celte par exemple, le latin, langue de l’occupant, imposa ses marques. Il se transforma en ce que les linguistes appellent le latin vulgaire. Il n’effaça pas totalement le substrat originel, mais le digéra en quelque sorte.

Après les Romains, viendront d’autres envahisseurs qui influenceront les idiomes locaux, sans toutefois les transformer véritablement, tout au plus, apporteront-ils du vocabulaire nouveau.

Les francs, s’imposant sur tout le territoire, marqueront durablement les parlers, et deux grands ensembles linguistiques vont se distinguer, selon les deux grandes ethnies dominantes occupant le territoire, les Celtes au nord, les Vascons au sud. Cette séparation est presque caricaturale  par sa simplicité, mais il est de fait que les deux grands ensembles précités vont se constituer selon leur façon de dire oui, avec « oy» au nord de la Garonne, et « oc » au sud. De là seront distinguées les langues d’oïl et les langues d’oc.

La France d’alors n’est pas encore la France, mais le Royaume des Francs. Le nom de France n'est employé de façon officielle qu'à partir de 1190 environ, quand la chancellerie du roi Philippe Auguste commence à employer le terme de Rex Franciæ (Roi de France) à la place de Rex Francorum (Roi des Francs) pour désigner le souverain.

C’est alors une mosaïque de régions plus ou moins grandes ayant leurs propres parlers, leurs patois diront certains, leurs langues régionales diront d’autres. L’un d’entre eux est le patois de l’Île-de-France et de Paris. Ce n’est qu’en 1539, par l’ordonnance de Villers-Cotterêts, que le moyen français, langue maternelle des dynasties capétiennes, devient une langue juridique et administrative en France. En 1794, par le décret révolutionnaire du 2 thermidor an II et malgré le fait qu'elle ait été, sous l'Ancien Régime, la langue des cours royales et princières européennes, le français classique, langue des Lumières, devient la seule langue officielle de la Première République française.

Le français s’impose donc, sur notre territoire, par le droit d’abord, devenant la langue des juristes et notamment des notaires dans nos campagnes, puis par les baïonnettes après la Révolution Française, enfin avec les instituteurs de la troisième République nommés dès lors, les hussards de la république.

Les dirigeants successifs avaient la volonté de faire disparaître les langues régionales, et il s’en est fallu de peu pour que ça réussisse.

Les langues régionales

Les patois que parlaient nos ancêtres ont eu bien des difficultés à résister aux coups de boutoir de ces hussards de la république. Combien d’élèves ont-ils subi l’humiliation du coin avec le bonnet d’âne, quand ce n’était pas tout simplement le bâton, pour avoir utilisé une expression patoise ?

Pour la plupart, ces parlers s’exprimaient oralement et très peu à l’écrit. Ce sont donc les paysans, la population la plus nombreuse dans nos campagnes d’alors, qui ont su garder cette richesse culturelle.

Certes, il y a aussi les régions à forte identité culturelle, qui ont su préserver leur langue et la défendent encore coûte que coûte. On pense bien évidemment à l’Alsace, la Bretagne, La Corse, le Pays Basque, la Provence.

Les autres ne sont plus que des traces, des souvenirs, le flamand n’est plus guère parlé, le ch’timi n’est plus qu’un français déformé, le gallo n’est pratiqué par encore quelques anciens et quelques érudits locaux, du platt ne reste plus que l’accent lorrain… Triste constat.

Et pourtant, ce qui fait la richesse de la langue française, c’est bien tous les apports des langues régionales, sans oublier les apports des créoles outre-marins et des langues des anciens pays colonisés.

C’est ce que semblaient avoir compris quelques politiciens qui sous l’égide du Ministère de la Culture ont entrepris l’inventaire et la reconnaissance des « Langues de France » dans la décennie 2000. A cette occasion, le saintongeais était reconnu Langue de France en 2007 (cf annexe 1).

Heureusement, il existe aussi les modes culturelles. Après les évènements du Larzac, on se souvient encore du slogan « garderem lou Larzac », la mode est à l’enseignement de l’Occitan. Pas un lycée du sud qui ne sera atteint par la fièvre occitane. Et bien que ce soit une vue de l’esprit de quelques universitaires, la langue occitanen’existe pas vraiment, contrairement aux langues occitanes qui elles, existent bel et bien. On pense au provençal, au niçard, au gascon, au béarnais, à l’auvergnat, au périgourdin, etc. Il n’empêche que ce focus sur l’occitan a permis de mettre en valeur les langues occitanes et les cultures occitanes, et leur insuffler un dynamisme nouveau.

Dans l’ouest, dans un ensemble linguistique que certains nomment ensemble linguistique poitevin-saintongeais, se distingue encore nettement la langue saintongeaise, que les habitants chauvins de Charente et de Charente-Maritime appellent le charentais, oubliant le sud de la Vendée et des Deux-Sèvres, la bordure limousine et périgourdine, le nord de la Gironde et les enclaves du Médoc et de Monségur. Dans ce cas,  tirée de la tradition orale par les bardes saintongeais, elle a survécu et trouvé un nouveau dynamisme grâce aux spectacles en patois, aux groupes folkloriques, à quelques journaux en parler local, plus récemment aux concerts et aux disques d’un groupe musical qui se qualifie lui-même de groupe celtorock charentais.

Le saintongeais

Le patois saintongeais est une expression un peu trompeuse. On pourrait parler des variétés de patois saintongeais, même si aujourd’hui, on tend vers une uniformisation. Autour de caractères communs apparaissent encore des variations en  fonction des lieux, variations qui s’estompent tant l’utilisation des médias modernes rabote à loisir les particularités locales.

Comme le faisait remarquer Doussinet, si le saintongeais n’est que patois et plus dialecte, ce qui suppose l’existence d’une certaine autonomie politique et économique, doit-on demander l’autonomie de la Saintonge ?

Plaisanterie mise à part, c’est avant tout un besoin de reconnaissance culturelle qui se fait jour chez les jeunes générations, et c’est ce qui, peut-être, rendra au patois son rang de dialecte.

Les origines

Les santons, peuple qui donna son nom à la Saintonge, étaient installés sur le territoire des départements charentais et sur le nord de la Gironde. On a supposé un temps qu’ils étaient issus des Helvètes, alors qu’en fait, ces deux peuples distincts n’étaient parfois qu’alliés au gré des guerres. Plus vraisemblablement, les santons sont issus de peuplades du Néolithique existant déjà dans cette région. Avant l’arrivée des légions romaines, le celte est bien le socle linguistique à partir duquel s’est construite la langue saintongeaise. On y retrouve des mots dont l’origine celtique ne fait aucun doute. Le bran, le son qu’on retrouve dans l’expression bien connue : feîre l’âne peur avoér dau bran. La bourgne, la nasse, est un mot qu’on entend toujours au bord de l’Estuaire, dans les marais et sur les rives des rivières saintongeaises. Le chail, le caillou, la chaume, le plateau dénudé ; la combe, la vallée sèche ; la grave, le gravier ; l’ouche, le clos attenant à la maison ; la varenne, la terre d’alluvion ; la rée, le sillon ; le vargne, l’aulne ; la bourde, l’étai ; le dail, la faux ; le mulon, la meule ; la groie, terrain caillouteux ; et d’autres encore qui marquent l’origine gauloise du socle. Finalement, comme le remarquait Doussinet, c’est assez peu si l’on songe que le celte, le gaulois, a été parlé par chez nous jusqu’au Vème siècle apr. J.-C..

La plus grosse source originelle, c’est le latin, qui noya véritablement tout le vocabulaire celtique. C’est d’abord l’occupant militaire qui apporte le latin, puis l’occupation pendant près de quatre cents ans par l’administration romaine  et les nobles romains, qui vont faire s’imposer le latin vulgaire. Ainsi le peuplier prend le nom de popion venant du latin populus, biber de bibere, boire ; l’arentelle de araneae tela, la toile d’araignée des Latins ; le vime de vimen, l’osier.

Il semble d’après certains linguistes, qu’une des particularités des langues du centre ouest, saintongeais et poitevin, c’est une évolution phonétique à partir du latin, et qu’on ne retrouve pas dans d’autres langues proches comme le gallo, l’angevin ou le tourangeau. Par exemple, ale, pale, échale, en saintongeais et gabaye, du latin ala, pala, scala qui donne aile, pelle, échelle en français..On pourrait citer à loisir d’autres exemples comme le p latin qui devient b en saintongeais et gabaye, alors qu’il fait v en français, la syllabe al en latin devient au en saintongeais et gabaye alors qu’elle devient ieu, el, é ou tout autre chose en français.Le c latin séparant deux syllabes, devient jh en saintongeais et gabaye, alors qu’il devient y, ie  ou tout autre chose en français

Après la christianisation de la Saintonge, par Eutrope, l’évêque canonisé en  Saint Eutrope, la latinisation continue par la liturgie. Abeurnontio, Beurnotion, expression du dégoût, a ses origines dans la formule latine d’abjuration, Ab renuntio.Olé pas mirâbus, de mirabilis, admirable. Asperez in p’tit misère, attendez le temps de dire « Miserere mei, Deus » 

On pourrait continuer longtemps ainsi.

Il y a bien évidemment des apports des langues d’oc environnantes, et sans doute de peuplements passagers de populations méridionales. Les noms de villages en -ade ou en -ac en sont des témoignages, ainsi que des mots communs comme l’aigail, la rosée, la boéne, la baïne, et la célèbre monjhette, le haricot.

À partir du Moyen-Âge, le fond linguistique du saintongeais va être l’ancien français, et il n’est pas surprenant de trouver des mots ou expressions similaires dans le saintongeais et les écrits de Rabelais  ou de Villon par exemple. Le sin, la cloche, et toquer le sin qui donnera au français moderne  « sonner le tocsin ».. Comme Rabelais, on ouillera les barriques en s’éclairant à l’aide du chaleuil. On sera enfondut, trempé, avec Villon.

Les termes de l’ancien français conservé dans notre parlure sont très nombreux et bien des expressions patoisantes en sont pourvues, comme dans les exemples suivants :

  • Tenî la brunette, tenir les cordons du poêle ;
  • O ne peut choler, Peu importe ! (de chaloir) ;
  • Tâte si le nâ te crôle, de croler, remuer, pour tancer l’impertinent ;
  • I qu’neut les eites, il connaît bien la maison, les dépendances et les abords, de l’ancien français estres ;
  • Aller à la veurmée, aller à la pêche avec des vers en pelote et sans hameçon, dans le Pays Gabaye, aller à la pêche au toque.
  • Agare ! Vous voyez, n’est-ce pas ! De l’ancien français agarer, regarder.
  • Grande ure ! Cri de joie, de eüre, bonheur.

Pour d’autres exemples, je renvoie le lecteur à la bibliographie.

Si par la suite, il y a bien eu d’autres apports, de l’anglo-saxon par exemple, ils demeurent mineurs. L’évolution de la langue saintongeaise par la suite sera due à des transformations de l’existant. C’est la création de mots composés, l’ajout de préfixes et de suffixes, etc. Puis viendront les apports du français moderne, mais c’est une autre histoire.

Le Gabaye

Le Pays Gabaye

Pour définir ce qu’est le Pays Gabaye, il faut d’abord parler des Gavacheries. On peut en distinguer trois. La Petite Gavacherie dite de Monségur dans l’Entre-Deux-Mers, et La Grande Gavacherie, dans le nord de la Gironde qu’on peut diviser en deux parties, celle de l’est et celle de l’ouest. L’est de la Grande Gavacherie et la petite Gavacherie ont en commun la Guerre de Cent ans. Ces aires, autrefois gasconnes, furent totalement dépeuplées à tel point qu’il fallut faire venir des populations d’ailleurs, majoritairement saintongeaises. Dans ces contrées, les quelques Gascons restants appelèrent rapidement, et avec mépris,  les envahisseurs saintongeais, les « gavaches », les étrangers du nord qui ne parle pas la langue du pays.

La Gavacherie de l’ouest, grosso modo, le Blayais, n’a pas connu les mêmes situations qu’à l’est et à Monségur. La région n’a pas connu de destruction, et si on eut à déplorer quelques exactions, dont Berson et Saint-Paul furent victimes, et bien que Blaye fût un enjeu militaire, le secteur fut épargné. Il faut dire que les chroniqueurs de l’époque fustigeaient Blaye qui « depuis le terme de trois cents ans … avoit tenu le party des anglois ». Les chargements de vins pour l’Angleterre partaient de son port, et la ville et ses alentours bénéficient de privilèges.  Elle n’eut, véritablement, ni à souffrir de la Guerre de Cent Ans, ni des épidémies, ni des huguenots. Ainsi, on peut penser que la population locale a gardé ses caractéristiques d’origine.

Il est fort probable qu’en Gavacherie de l’ouest, on parlait saintongeais. Dans les récits historiques, Blavia est toujours associée à Médiolanum Santonum, les deux villes sont reliées par la Voie Romaine, l’historien Dulon affirme même que Blaye est une des plus anciennes villes de Saintonge. D’autre part, dans les Chapitres de Blaye depuis leur création vers l’an 1000, on ne trouve aucune trace de gascon comme dans ceux des zones occitanes, comme Bourg pourtant proche et où l’on parle le gascon.

Si l’on peut considérer que le Pays Gabaye épouse pratiquement ce qu’on appelle aujourd’hui les Hauts de Gironde, les gavaches de la Grande Gavacherie se sont progressivement baptisés eux-mêmes les Gabayes, terme moins péjoratif, ainsi, la notion de Pays Gabaye s’est étendue à pratiquement toute la Grande Gavacherie.

Il est facile d’en définir les limites au nord et à l’ouest, c’est plus difficile vers le sud.  En gros, du nord-ouest au sud-est et jusqu’au-dessus de Guîtres, ce sont les limites de la Charente-Maritime qui encadrent le Pays Gabaye. A l’ouest, c’est la rive droite de L’Estuaire jusqu’au cours d’eau, le Brouillon, entre Plassac et Villeneuve, qui fait peu ou prou la limite. Après, c’est plus compliqué. Approximativement, la limite passe par Saint-Ciers de Canesse, Mombrier, Samonac. Puis on travers Pugnac et Gauriagais, Villegouge, on laisse Libourne au sud pour repartir vers Lussac, Saint-Chritophe de Double, la limite de la Dordogne, Les Eglisottes et à nouveau la Charente-Maritime.  N’oublions pas les îles de la Gironde Paté, Boucheau et Nouvelle.

On voit bien du côté de Libourne que ce n’est pas simple. Néac se dit Niat comme en saintongeais, Pomerol se dit Poumeyrou, comme en gascon..  

Figure 1 Aire de la langue saintongeaise.

 

Les figures 2 à 4 nous montrent la difficulté d’établir une frontière linguistique au sud-est..

 

Figure 2 Les cantons du pays Gabaye.

 

 

Figure 3 Gavacherie actuelle des environs de Coutras

 

 

Il en est de même du côté de Bourg. Jules César disait « Gallos ab Aquitanis Garumna flumen dividit. », la Garonne sépare les Gaulois des Aquitains. Deux mille ans plus tard c’est encore vrai à quelques exceptions près.

Figure 4 La Gavacherie du Blayais.

 

 

            Après le rattachement du Vitrezais à la Guyenne, le Pays Gabaye va perdre un peu de son appartenance à la Saintonge. Une partie du territoire de la Saintonge est attribuée à la Gironde. C’est ainsi que même encore aujourd’hui, les Gabayes ne se sentent pas tout à fait chez eux. Ce qu’on appelle désormais Haute-Gironde, ne représente que ce qui fut tout le temps le Pays Gabaye, une tradition, un langage et un particularisme bien marqué.

Il y a peu, le  Gabaye se dépréciait encore. L’abbé Belloumeau écrivait : « Le Saintongeais est fier de son patois, le Gabaye a honte du sien : il ne dit pas parler gabaye, mais parler grou (grossièrement) ; il croit facilement que celui qui l’entretient dans sa langue se moque de lui. »

Les choses changent un peu, les générations plus récentes revendiquent leur appartenance à ce pays et son attachement à sa langue.

 

A bintou p’r ine p’’rchaine buffée.

Sarviteur,

Vout’ Jhean Lut8

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